Extrait des 20 premières pages de "L'enfant qui venait de nulle part"
08/12/2014 20:55Les 20 premières pages ou 3 premiers chapitres
A votre disposition.
G.L. Marchal
L’enfant qui venait de nulle part
Premier tome
Chapitre I
Seuls les cris des aigles se font entendre dans une nuit avec un ciel
couleur d’encre, alors que plus personne ne donne un signe de vie. Les
volets, comme les portes, sont clos, plus aucun être, à part les volatiles, ne
s’aventure au-dehors alors que la fraîcheur de la nuit s’est installée depuis
un petit moment.
Oui, comment présager qu’il y aurait une présence dans ce calme
profond ? Et pourtant, la respiration rapide et les quelques babillements qui
sortent d’une ombre minuscule ne sont pas une illusion, mais personne ne
fait attention au nourrisson si jeune qui semble ne pas être préoccupé par la
noirceur autour de lui, ni par les cris un peu effrayants venant de nulle part
et, encore moins, de l’air presque froid qui aurait dû normalement le faire
verser quelques larmes pour prévenir de sa présence. Non, lui, ce qui
l’intéresse en cet instant, c’est ce ruban argenté brillant dans le noir et
tournoyant autour de sa tête pour reprendre son minuscule parcours devant
les yeux du bambin. Celui-ci tend justement une petite main aux doigts fins
mais le ruban s’éloigne de quelques centimètres, s’échappant pour mieux
revenir sous les rires enfantins. Le jeu continue quelques minutes avant que
le fil épais ne s’évapore soudainement. Le nourrisson ouvrit grands ses yeux,
étonné de ne plus voir son compagnon de jeu.
Le vent souffle alors beaucoup plus fort, faisant presque plier les arbres
sur son passage, claquant violemment les volets et couchant complètement
les herbes folles qui couvrent les prés. Une bourrasque fit valser fortement le
panier qui s’envole malgré le paquet qu’il transporte et, alors que l’enfant
disparaît dans le ciel étoilé et quasi noir de la nuit, le mini-ouragan se calme
tout à coup et tout redevient calme, comme si ce qui s’est passé quelques
secondes auparavant n’avait été qu’un songe rapide, mais l’évidence est bien
là. Le bambin a disparu.
Au même moment, à quelques kilomètres de là…
Un homme, accoudé au comptoir, boit lentement son verre d’alcool,
savourant le liquide chaud coulant le long de sa gorge. Autour de lui, tout
le monde discute, pas une seule parole ne lui étant adressée mais des coups
d’oeil en nombre dans sa direction. L’homme soupire et pose sa chope vide,
puis se lève. Il n’a plus rien à faire ici. Il paye le barman et sort. Dès qu’il
passe la porte, le vent froid lui fait remonter son manteau et frissonner.
Courageusement, il entreprend de remonter la longue colline qui le fera
passer le seuil de sa maison. Ses pas sont lents malgré l’air glacial, mais son
humeur et ses pensées sont polaires. De toute façon, personne ne l’attend,
ni enfants, ni compagne, alors pourquoi se presser ? À la pensée d’une
famille, il soupire tristement. Qui voudrait de lui ? Les gens en ont peur,
évitent de croiser son regard quand c’est possible, le prennent pour une
immondice ou une personne pouvant leur refiler une maladie extrêmement
grave et répugnante s’ils approchaient trop près de lui. Cela fait si
longtemps qu’il n’a pas eu de câlins, de baisers ou, il devrait plutôt résumer,
cela fait si longtemps qu’il n’a eu aucun contact avec les personnes qu’il
côtoie. Cela se compte en années…
Il s’arrête et se raidit, puis s’approche avec des pas précipités. Avec de
grands yeux, il regarde l’enfant endormi sur son palier, jouant avec un bout
du drap qui le recouvre et semblant ne rien sentir du froid mordant de
l’endroit. Il relève un peu la tête pour inspecter les alentours, mais pas une
ombre, seul le vent lui répond. Se demandant comment un bambin a pu
arriver là, et surtout devant chez lui, il se penche pour s’assurer d’un détail
qui commence à pointer dans son esprit, mais la surprise remplace bien
vite l’inquiétude quand, touchant du bout des doigts la joue ronde, il
remarque que le bambin n’est pas glacé, et semble même réchauffé. Jetant
un dernier coup d’oeil aux alentours pour être bien certain qu’il n’y a
personne qui l’observe, il hausse les épaules, prend le panier en osier qui
renferme le nourrisson endormi et passe la porte, un léger sourire aux
lèvres et des questions plein la tête. Tout s’est passé sans un bruit. Sur une
pancarte, devant la maison, un seul mot est inscrit, un peu effacé mais bien
visible malgré tout : Rainos.
– Ne bois pas si vite ! On ne va pas te le voler, tu sais ?
Deux grands yeux violets se fixent alors à son visage et deux
minuscules menottes resserrent inutilement la gourde en acier. Rainos
sourit et penche un peu plus le biberon personnalisé pour que le gamin
puisse boire, gamin qui continue à engloutir le lait qui se déverse à mesure
qu’il tète cet objet si bizarre, n’écoutant pas les paroles. Quand les dernières
gouttes atteignent sa langue, il pousse ses minuscules mains pour retirer cet
objet devenu inutile. Rainos pose la gourde sur la table de chevet et regarde
l’être minuscule à ses côtés, dans ce fauteuil qui n’était, il y a quelques
heures, utilisé que par lui. Le gosse a l’air épuisé, maintenant qu’il est repu,
mais la question se pose toujours : où le mettre ? Il n’a jamais préparé quoi
que ce soit pour accueillir quelqu’un, alors un môme, l’idée n’avait même
pas germé ! Le fauteuil, tout simplement hors de question, il n’a pas
recueilli l’enfant pour le laisser seul en bas. Aucune chambre d’amis non
plus, vu qu’il n’y a que le strict minimum dans la petite bicoque qui lui sert
d’habitat, une maison bien chaleureuse, en tout cas pour lui, mais qui lui
semble désormais bien étroite, d’autant plus que la chambre d’amis ne
servirait de toute façon à rien vu qu’il n’y a pas de lit pour bébé. Hum… À
court d’idées et, surtout, ne trouvant au final qu’un seul endroit, il regarde
encore une fois le bambin. Tant pis si ce n’est pas idéal. Il le prend
doucement et l’installe contre son torse, son bras entourant le corps frêle,
puis monte les escaliers jusqu’à sa chambre. Il installe le petit
confortablement entre deux coussins, retire son haut et remplace son
pantalon de journée par un bas de pyjama, puis se couche et, entourant le
gosse d’un bras, recouvre tous les deux des couettes. L’homme reste
quelques secondes immobile puis, se soulevant un peu pour observer son
récent protégé, découvre qu’il est totalement endormi et tombe lui aussi
dans les bras de Morphée.
Il referme le livre en grommelant. Rien, toujours rien ! Pourtant, cela fait
bien le septième qu’il lit, mais dans aucun l’on ne parle de sa situation. Ah
oui, pour parler des parents, du comportement à adopter vis-à-vis du
nouveau-né, des objets qu’il faut sans cesse racheter car le bébé grandit.
Effectivement, ça, on en parle, mais aucun de ces fichus bouquins ne dit ce
qu’il faut faire quand on ramasse un bambin de tout juste un an sur son
palier, bambin qui semble d’ailleurs incomparablement plus calme que tous
les gamins dont on parle dans les pages, ces mêmes gamins qui, pour se faire
comprendre, n’utilisent comme paroles que des cris et des pleurs, auxquels
on doit réussir à faire de grandes traductions pour arriver à une bonne
réponse. Heureusement que ce nourrisson n’est pas comme ça. Il n’est déjà
pas patient au départ mais là, il en aurait fait une crise. Il tourne la tête en
sentant les draps bouger légèrement et sourit aux prunelles vissées sur lui,
puis caresse le front orné d’une chevelure douce et épaisse. Un sourire éclaire
les lèvres fines des deux côtés. Rainos a longuement songé à donner le
bambin à un homme à qui il fait une entière confiance pour garder l’enfant
en sécurité et le confier à un foyer où on s’en occupera bien, le lendemain de
sa découverte, mais s’était résolu à le garder encore quelques jours.
Peut-être parce qu’il était trop longtemps resté seul.
Peut-être parce que quelqu’un lui montrait enfin une véritable
attention.
Peut-être parce que les rires légers qui sortaient de cette bouche si
petite étaient la plus belle mélodie qu’il ait jamais entendue.
Peut-être parce qu’il était trop vite devenu accro à ce gamin.
Peut-être parce qu’il pouvait enfin toucher une personne sans que
celle-ci n’ait aucun mouvement de recul à son encontre.
Et sûrement pour toutes ces raisons.
Le bambin tend ses bras maigres vers lui, les yeux brillants. Rainos
craque tout de suite et se penche vers le gosse pour lécher son nombril, gosse
qui rit aux éclats et se tortille contre la langue taquine. Il le soulève et le porte
à la cuisine, où il l’assied sur le comptoir, le dos collé à un mur. Sortant la
gourde de l’évier, il la remplit de lait chaud et, le garçon dans ses bras, se met
dans le fauteuil, le petit accoudé au coin. Il commence alors à le faire boire,
plaçant les petites menottes au bon endroit pour que l’enfant réussisse à
boire tout seul quand il aura faim à l’avenir, ce qui correspond à un mois ou
deux au minimum, Rainos savourant à chaque fois ce moment intime. Il
regarde le salon pendant que le petit engloutit le lait et songe que personne
ne saurait qu’un enfant habite ici. Et, tout compte fait, il ne vaut mieux pas
que cela se sache… Un petit tirage de chemise l’informe que l’on demande
son attention et il plonge immédiatement dans deux orbes améthyste
magnifiques. Il regarde plus profondément l’enfant et remarque ses cheveux
d’un blanc neigeux méchés d’argent, ébouriffés, comme s’il venait de sortir
du lit. Rainos s’empare d’une brosse à cheveux et l’approche de la petite tête
méfiante qui se soulève pour suivre le mouvement.
– Ne t’inquiète pas, je veux juste remettre ta tignasse correctement.
Tignasse ? Que voulait-il dire ? Et quel est cet étrange objet ? Il le suit
des yeux, un peu effrayé. L’homme lui veut peut-être du mal, même s’il
l’avait déjà fait avant. Il se laisse poser cet instrument, qui est assez doux,
sur la tête.
– Voilà, reste ainsi, c’est bien.
Ces mèches sont si douces et fines, c’en est étonnant. Cependant,
malgré tous les coups de la brosse, les cheveux partent dans tous les sens,
ressemblant à une cascade qui voudrait se faire beaucoup plus grande. Le
haut, aucun problème, ça reste quand même assez calme malgré les rares
mèches rebelles qui montent vers le ciel. Le bas… Il ne vaut mieux pas en
parler, cela ferait désespérer. Quoi qu’il en soit, la chevelure blanche ne
veut absolument pas se soumettre aux poils de la brosse, mais le petit est
patient malgré le temps qui passe en longueur.
– Désolé, mais tes cheveux sont très difficiles à dompter. Le résultat
n’est pas franchement satisfaisant, j’avoue, mais au moins, il n’y a plus de
noeuds.
Pour seule réponse, le gosse lui sourit. Craquant, c’est le seul mot qui
vient à la tête de Rainos qui prend un nouveau livre sur l’éducation des
enfants – un livre devenu inutile vu qu’il n’a toujours aucune réponse à ses
questions, mais sait-on jamais – et une orange. Il lit calmement quelques
pages, plongé dans le chapitre en cours avant de remarquer que l’enfant n’a
rien pour s’amuser. Étonné de ce silence, il tourne la tête et découvre le
bambin jouant avec le fruit, le bougeant entre ses doigts et l’examinant.
– C’est une orange.
L’enfant tourne la tête vers lui en tendant le fruit.
– Oui, c’est une orange, et la couleur est orange aussi.
Le gosse reporte toute son attention sur l’orange, la regardant avec
curiosité, alors que l’homme se remet à sa lecture, lui jetant quelquefois un
coup d’oeil, un doux et discret sourire aux lèvres.
Chapitre II
– Allez, tu peux le faire ! Encore un effort ! Le bambin fait un pas
hésitant, puis deux et s’arrête. Difficile de marcher sur deux pattes
seulement. L’homme le fait si facilement, ce n’est pas possible, il a un truc !
Il refait deux pas avant de tomber en avant mais ne se décourage pas pour
autant et se relève, se tenant fort au bord d’une commode.
– C’est bien, relève-toi ! Continue, tu vas y arriver !
Et cette voix si encourageante, si douce, lui donne la volonté de se
relever à chaque échec, lui enlève toute paresse contre la difficulté de
mettre un pied devant l’autre. Cela fait bien une demi-heure aujourd’hui
qu’il apprend à marcher, mais il veut réussir, et si ce n’est pas pour lui, au
moins pour celui en face de lui qui semble tellement heureux de lui
apprendre à rester debout, donc il est hors de question qu’il reste à quatre
pattes encore un jour de plus !
– Tu y es presque ! Tu sais déjà avancer de plusieurs mètres, tu vas y
arriver !
Rainos s’accroupit encore et tend les bras, sourire aux lèvres. Cela fait
étrange cependant, c’est tellement bon d’apprendre quelque chose à un
enfant qu’il n’aurait pas eu, si le petit n’était pas là, tellement bon de voir les
progrès faits par le petit être grâce à lui et à personne d’autre. Il l’encourage
et le soulève au ciel dès que le garçon arrive dans ses bras, le félicitant
fortement. Le plus jeune rit aux éclats en serrant ses doigts autour des
poignets du plus âgé, fier de lui-même. Rainos le colle contre son torse avec
tendresse et lui caresse les cheveux, les yeux doux et tendres fixés sur le
petit bout qu’il tient si précautionneusement contre son coeur.
– Maintenant, faudra que tu saches parler. Et après, apprendre à te
faire taire sera peut-être une nécessité.
Il rigole doucement et le met à hauteur de ses yeux pour frotter son nez
au sien. Si on lui avait demandé, à cet instant, de définir son émotion, l’aîné
aurait dit heureux. Oui, depuis maintenant trois mois, depuis que le gamin
est là, Rainos est de nouveau heureux. Il avait complètement oublié cette
émotion avant cette nuit-là, comme sourire sincèrement. Depuis toutes ces
années, il n’arrivait plus à ressentir le bonheur et, voilà qu’en une nuit,
toute sa vie est chamboulée, changée brutalement pour une autre où il ne
doit plus seulement s’occuper de lui. Il passe ses doigts dans les mèches si
claires et douces et pose le bambin à terre, bambin qui fait ses premiers pas
sans aucune aide avec un plaisir évident, tout cela sous le regard protecteur
de son aîné qui s’assied dans un fauteuil, prend le livre qu’il avait
commencé la soirée précédente, parlant, pour une fois, d’autre chose que
de l’éducation d’un enfant et tout ce qui la compose. Cela laisse ainsi un
temps de pause au petit pour qu’il s’amuse enfin à connaître la marche
après l’avoir durement travaillée durant toutes ces heures, et à sentir
également tout ce qu’il n’aurait jamais pu toucher avant, ce qui est
maintenant devenu un peu embêtant, vu que l’homme doit déplacer des
objets importants et fragiles qui, jusque-là, n’avaient rien à craindre. La
parole peut attendre, ils se comprennent très bien sans les mots, et puis,
Rainos veut savourer les derniers moments avant que l’enfant ne
commence réellement à parler, à moins qu’il ne reste comme maintenant,
un gamin vraiment calme, un ange quoi.
Les lèvres fines relâchent le goulot de la gourde de métal et l’enfant se
blottit contre le plus vieux, appréciant la présence protectrice et
réconfortante de celui qui semble devenu un être cher pour lui. Rainos
entoure un bras autour de sa taille et lui donne un baiser sur le front.
– Bientôt, tu n’auras plus besoin de boire à la gourde, tu pourras
manger sans problème.
À ces mots, il imagine déjà ce que cela pourrait être. Ce sera bien sûr
différent du biberon, il l’accorde, mais cela pourrait être amusant et
pourrait les rapprocher plus qu’ils ne le sont déjà. Lui demander d’ouvrir la
bouche, jouer à faire l’avion en l’observant suivre la cuillère de ses yeux
naïfs, lui mettre une serviette… Rainos désirerait presque que ce moment
se réalise tout de suite, mais bon, encore un peu de patience. Rainos
englobe la pièce du salon des yeux et remarque bien qu’elle n’a pas changé
d’un poil malgré tous les mois qui sont passés, et esquisse une petite moue
à la pensée qui lui vient à l’esprit. Il n’a pour sûr presque rien pour
s’occuper correctement d’un enfant dans les conditions écrites dans les
livres, mais à quoi cela pourrait vraiment servir ?
Chaise haute : à quoi ça peut bien servir, vu qu’il a toujours les yeux
rivés sur son quasi-rejeton ? Dès que le petit bouge, il bouge, les moindres
gestes que l’enfant fait, il les voit, et il doit quand même le regarder pour le
nourrir donc, en résumé, la chaise haute ne servirait strictement à rien.
La malle pleine de jouets : le gosse s’invente à lui seul toute une
aventure avec un simple bout de bois ou, mieux encore, une orange, sans
oublier les vêtements que Rainos porte. Il lui donne une seule de ses
chemises et c’est parti pour trois journées complètes, au cours desquelles le
gamin s’amuse avec le vêtement. Aucune réponse ne vient à l’esprit de
l’adulte quand il se demande où l’enfant va chercher toute cette inspiration.
Le biberon en bois plein de motifs : c’est vrai que les motifs vont
changer le cours de la vie d’un enfant, rien que de voir une petite lune sur le
devant du biberon, il va avoir un destin grandiose… Non, la gourde, ils y
sont habitués et c’est très bien comme ça, pas besoin d’un biberon.
Bavoir, poussette… L’homme n’en prend pas, et ne pense même pas à
en prendre. Et de toute façon, qui donnerait des objets pareils à une…
espèce telle que lui ? Non, ça n’a aucun sens. Il avait juste pensé aux
couches mais il s’est avéré que, dès que le gosse a besoin d’aller aux
toilettes, il le demande en tirant sur les vêtements et en désignant la porte
d’un doigt et donc, il n’a qu’à l’y conduire et il est tranquille. Rainos sourit,
très fier, à la pensée soudaine que les parents qui ont des enfants communs
qui hurlent du matin au soir et qui font plein de bêtises le haïraient
sûrement s’ils apprenaient qu’il a un rejeton qui est aussi adorable. Encore
dans ses pensées, il est surpris d’entendre.
– Ou… De.
– Quoi ?
– Ou… De.
Le petit le regarde, interrogateur. Il est sûr d’avoir entendu sa voix
enfantine mais il a bien dû voir ses lèvres bouger…
– Tu peux répéter ?
– Ou… De.
Il ne les a toujours pas vues bouger. Une question s’impose à l’homme,
est-ce qu’il deviendrait myope ou était-il trop distrait, bien qu’il ait les yeux
vissés sur les lèvres fines et claires qui ne se sont toujours pas ouvertes ?
Mais, malgré tout, le gamin le regarde avec toujours la même interrogation
dans les prunelles. De plus, il ne peut quand même pas apprendre à parler
tout seul comme ça, si ? Déjà que la marche était rapide, mais s’il apprend
la parole avant même qu’ils s’exercent, qu’est-ce que cela sera pour la
lecture ? Et ne parlons même pas de la télé…
Rainos regarde son protégé en silence. Non, ce n’est pas possible, il ne
peut normalement pas faire cela et, pourtant, cette réponse semble la plus
appropriée. Mais quand même…
– Gourde.
– Ourde.
– Ce n’est pas grave si tu as un petit problème sur le G. Écoute-moi,
ggggourde.
– Ourde.
– Encore ! T’es déjà super là, il te manque juste une lettre !
– G… Ourde.
– Vas-y, c’est bien !
– Gourde !
– Oui, c’est excellent, recommence !
– Gourde !
– Tu as réussi ! En si peu de temps, tu as réussi, c’est super !
À la fin, durant tout le reste de l’après-midi, ils apprirent ensemble, et
en s’exerçant, une dizaine de mots dont les plus importants, comme
dormir, toilettes, lire, jouer, faim, soif etc. Mais, surtout, le plus important
de tous pour Rainos, son prénom. Normalement il devrait lui apprendre à
dire Papa, mais qu’est-ce que ce mot tout simple veut faire passer, que c’est
le géniteur de l’enfant ? Non, il n’a aucunement besoin de le savoir,
premièrement parce qu’il ne l’est pas mais, principalement, parce que si
l’enfant l’appelait plus tard, il serait certain qu’ils seraient séparés de force,
pour la protection du petit, selon ces imbéciles qui se croient supérieurs à
l’adulte, tout ça parce que ses gènes sont différents des leurs. Et puis, son
prénom, dit avec tellement d’affection, vaut tous les « Papa » du monde. Au
moment de mettre son protégé dans leur lit commun et de s’allonger à ses
côtés, il réfléchit à la journée qu’il venait de passer, où, pour être plus
précis, aux paroles dites par la télépathie. La télépathie… Il est déjà très
difficile, on pourrait même dire une vraie torture, d’apprendre la télépathie
pour un adulte, pour un enfant c’est donc impossible, mais pour un
bambin âgé d’à peine deux, trois ans… C’est carrément du suicide, et quel
petit enfant penserait déjà à la télépathie ? Non, ça ne pouvait pas être
possible, et pourtant…
Rainos se retourne dans les draps et observe profondément le petit être
qui est venu dans sa vie sans préparation, juste sur un simple palier. Ses
cheveux fins et argentés brillent doucement dans l’obscurité de la pièce, le
faisant ressembler à un ange, bien que l’adulte n’en ait jamais aperçu, mais
les anges doivent bien avoir une ressemblance avec cet enfant, ils doivent
bien être aussi beaux, aussi irréels. Le garçon dort profondément, un doux
sourire sur ses lèvres, laissant apparaître des cils longs et épais, aussi blancs
que les mèches qui parsèment la chevelure. En caressant la touffe, l’homme
s’étonne encore de sa douceur. Vu l’apparence, on pense généralement que
les mèches sont un peu dures, tel les fils d’une toile d’araignée, mais au
contraire, ce sont des plumes que Rainos a l’impression de toucher, des
plumes à la douceur incomparable. L’homme se laisse tomber sur son
oreiller et, les yeux vers le plafond, réfléchit. Il ne pourra pas cacher l’enfant
longtemps, à moins qu’il ne l’enferme pour toute sa vie dans leur maison,
mais il en est hors de question et puis, avec son problème, il ne pourrait pas
le garder indéfiniment. Et cette télépathie… Mais qui est vraiment ce
bambin ? Pas un gamin normal en tout cas, mais finalement, il ne se serait
pas attaché autant à un bébé normal, voire pas du tout… Quelle chance est la
sienne d’avoir un gamin pareil, d’avoir ce gamin et pas un autre…
C’est le sourire aux lèvres que Rainos se colle à son protégé et remercie
le ciel d’avoir mis ce petit sur sa route. Un petit qui lui est désormais
indispensable… Il a vraiment bien fait de ne pas l’avoir donné les premiers
jours où il l’avait eu, vraiment bien fait. C’est même la meilleure chose qu’il
ait jamais faite de toute sa vie.
Et avant qu’il ne tombe complètement dans ses rêves, il pense qu’il
faudrait vraiment qu’il trouve un nom au bambin.
Chapitre III
Secouant négligemment la main, l’homme envoie un souffle d’air
chaud sur les tartines, un souffle assez brûlant pour les faire rôtir d’une
jolie teinte rousse, et prend le beurre pour l’étaler sur le pain roussi. Ceci
fait, l’adulte prend le plat rempli du pain fumant et le pose sur la table en
bois alors que, dans la pièce, des pas légers ainsi qu’un rire tout aussi doux,
se font entendre, puis une petite voix demande.
– Je peux aussi le faire ?
– Il faut que tu grandisses et apprennes avant, ce ne sera pas pour tout
de suite. Mais dis-moi plutôt comment tu trouves mes tartines, puis tu me
poseras tes questions, vu que tu sembles les avoir sur le bout des lèvres.
Lui obéissant gentiment, le garçon vient s’asseoir sur les genoux de son
aîné et commence à manger les tartines d’un air gourmand, sous les yeux
doux de son presque père. Celui-ci lui embrasse le front, ses mains
entourant la taille du plus jeune, massant gentiment la peau sur laquelle
elles sont pressées. L’enfant redresse la tête et offre un sourire éblouissant à
son protecteur, la bouche entourée de ketchup, pour recommencer ensuite
à manger la nourriture. Après quelques mois, ils avaient appris ensemble à
parler et Rainos s’était dit qu’il pouvait recommencer à pratiquer un peu de
son élément, lui qui l’avait stoppé pour ne pas y attirer l’enfant trop tôt.
Secouant ses doigts, l’homme envoie quelques étincelles dans les airs sous
les yeux enfantins émerveillés et touche de son pouce la joue du gamin,
laissant une traînée brillante sur la peau rebondie. Sous les rires, l’homme
pose l’enfant à terre et le laisse le suivre alors qu’il se dirige vers le salon
pour s’asseoir dans un canapé et commencer à se concentrer. Très vite, la
température dans son corps monte et il la guide le long de son bras, sentant
la chaleur traverser sa poitrine en un doux feu pour passer à son épaule et
ensuite descendre le long de ses veines, Rainos les sentant se gonfler
quelque peu lors de la montée de l’élément. Enfin, sa main pique
légèrement tandis qu’il savoure ce contact avec son plus précieux
compagnon. Inspirant un grand coup, il tend la main et, ouvrant à demi les
yeux, claque des doigts en direction d’Erwen. Un crépitement semblable à
celui d’un feu bien fourni se fait entendre tout près de l’oreille droite de
l’enfant, qui arrête de jouer avec ses cubes en bois pour tourner vivement la
tête vers son aîné, la bouche ouverte et de grands yeux témoignant sa
surprise. Souriant, Rainos claque une nouvelle fois des doigts et le
crépitement fait de nouveau son apparition, plus fort que la première fois.
Un grand sourire à présent sur ses lèvres claires, le petit garçon de trois ans
et demi s’avance d’un pas décidé et vient poser ses mains sur le genou de
son père.
– Tu peux pas m’apprendre ?
– Viens ici, je ne peux pas t’apprendre, mais je vais te montrer.
Souriant encore un peu plus, le gamin se laisse soulever et poser pour
regarder le visage de Rainos, qui lui dit :
– Regarde devant.
Se léchant les lèvres d’excitation et d’appréhension à la fois, Erwen
regarde en face de lui et attend. Tout d’abord, il ne voit rien puis,
doucement, il sent une caresse taquine au niveau de son oreille mais, alors
qu’il lève la main, il entend :
– Non, ne bouge pas, ce n’est rien.
Il repose donc sa main et évite de penser à la chatouille, ce qui n’est pas
difficile vu qu’elle s’efface presque immédiatement, sa pensée terminée.
Et là, l’enfant croit rêver.
Sur son nez trône un papillon enflammé, ses ailes faites de flammes
ondulant sous un vent imaginaire. Ses antennes bougeant en tous sens et sa
petite tête fixée sur lui. D’une main un peu tremblante, le garçon avance ses
doigts vers l’animal mais celui-ci s’envole quand le majeur est à quelques
millimètres de ses ailes. D’un battement majestueux qui envoie un peu d’air
sur les paupières du petit, il décolle et volette droit devant lui sous les deux
regards. Ouvrant les bras sous l’impulsion de son enfant, Rainos le laisse
courir maladroitement dans toute la pièce après l’insecte et, souriant, se
remet confortablement dans le fauteuil. Puis, fermant les yeux, il tombe en
transe pour s’harmoniser avec le feu.
Il est sûr que l’enfant ne fera rien d’autre que jouer avec le papillon
durant cette absence, il peut donc pleinement en profiter.
– Rainos, tu es où ?
– Dans la salle de bains, tu peux venir.
L’enfant court à travers les pièces et arrive, un grand sourire aux lèvres,
au pas de la porte ouverte.
– Tu es bientôt prêt ?
– Presque, prépare déjà une collation pour nous deux.
– D’accord !
Et il part sans plus aucune parole, à part un rire mélodieux qui traverse
la maison, l’enchantant presque. L’aîné sèche ses cheveux couleur des blés,
lui arrivant au bas du dos, et suit tranquillement le chemin du plus jeune.
Déjà quatre ans, que cela passe vite ! Et pendant ces quatre années, rien
n’est venu perturber leur quotidien. Finalement, il ne l’a pas donné, il n’a
pas pu se résoudre à donner sa seule source de bonheur. Il prend ce que le
gamin lui donne et sort. L’air froid qui, quatre ans auparavant, le rendait
maussade, lui redonne à cet instant de l’énergie et il fixe son regard dans les
deux océans violets brillants.
– Tu veux aller où ?
– Au sommet de la colline !
– Pas envie de beaucoup marcher, aujourd’hui ?
– Non, pas vraiment et puis, je veux de nouveau admirer le paysage.
T’es d’accord ?
– Bien sûr ! Allez, en marche, sinon nous n’y arriverons jamais si nous
n’avançons pas.
Après une demi-heure à gambader dans les rochers et les prairies
parsemées d’arbres comme de fleurs, le duo se repose au sommet de la
colline, regardant les montagnes s’étendre devant eux. Enfin, le garçon
regarde au loin, Rainos, quant à lui, est dans ses souvenirs, un souvenir
surtout. Il observe le dos fin de son cadet, dos qui a pris une bonne
trentaine de centimètres. Il ferme les yeux et se replonge dans la nuit qui
aurait pu briser cette vie…
L’animal est en train de se réveiller, mais Rainos ne s’inquiète pas. Le
bambin de trois ans et demi dort depuis une demi-heure, ça va aller,
comme pour toutes les autres nuits. Il se laisse envahir et ne tarde pas à
sentir ses os craquer sous sa peau, où de la fourrure d’un brun riche
pousse. Une douleur vient le cueillir à la mâchoire alors que des canines
s’y forment et qu’elle s’allonge et se transforme en museau. Soudain, le
bruissement du vent, qui était jusque-là imperceptible, devient aussi fort
que des cris stridents. Il peut apercevoir des formes bouger entre les
troncs et sentir l’odeur de la chair chaude et juteuse. Il salive d’avance. Il
bondit et semble voler, ses pattes touchant à peine l’herbe humide qui
exhale une douce odeur fraîche, mais loin d’être alléchante. Les couleurs
défilent, très floues, le loup ne se préoccupant que d’une chose : son repas.
Celui-ci voit trop tard le loup-garou arriver et n’a pas le temps de penser à
une fuite éventuelle, qu’il est déjà plaqué au sol, une plaie béante le long
de sa gorge et le liquide vital sortant d’elle à gros bouillon. Le loup se
délecte de cette boisson chaude accompagnant sa viande, les deux fondant
dans son palais et se mariant à la perfection. Savoureux. Il replonge ses
lèvres dans cette chaleur et reprend un morceau jusqu’à finir l’animal, ne
laissant derrière lui que des os, la tête et les sabots. Pas mangeable. De
nouveau, il recommence sa poursuite, non repu. Toujours la même
technique : la surprise, le plaquage et le repas. Ce n’est qu’après sa
troisième victime qu’il passe à autre chose. Il a toute la nuit pour faire ce
dont il a envie. Il laisse ses pattes le guider à une falaise où le vent souffle
fort à ses oreilles et où le vol discret d’un hibou se fait entendre. Il renifle
l’air, cherchant les odeurs. Satisfait, il émet un grondement. Aucune
présence sur son territoire, ou une seule, mais extrêmement faible, pas
une menace. Il lève la tête et hurle à la lune, elle qui est le témoin de ses
massacres et de ses voyages, courts comme longs. Un autre hurlement,
celui-là un peu plus grave, lui répond. Bien, rien de spécial. Et puis, ça fait
du bien une présence à qui on peut parler. Les deux loups continuent
ainsi, prenant des nouvelles de l’autre, s’informant, puis tout redevient
silencieux. Le loup hume une deuxième fois, question de prudence, et
quitte son rocher pour dévaler les prairies et s’amuser dans les rocheuses
et la terre.
Épuisé, voilà ce qu’il est en ce moment. Mais satisfait, il a pu faire une
bonne partie de ce qu’il voulait. Il marche, ses pattes fatiguées tenant
encore un peu, mais s’immobilise soudain. La même odeur.
En face de lui, au milieu de la clairière, est debout un jeune enfant,
dans les trois ans, quatre tout au plus. Le loup s’approche lentement. Qu’y
est-il ? D’où vient-il ? Est-il de lui ?
Une minuscule main se tend vers lui et attend, dans les airs, sa réponse.
Le loup s’approche et soulève le plus délicatement possible, le tissu. Il a déjà
vu des êtres pareils à lui, mais plus âgés, beaucoup plus. Et plus sauvages
aussi, vraiment bruyants. En somme, nettement moins agréables.
On le touche et, par réflexe, le loup montre les crocs.
Immédiatement, la main se retire avec précipitation.
– À mal ?
Le loup se raidit un peu puis se détend, cela vient de ce petit être. Il
approche encore une fois le museau et, soulevant le tissu, s’imprègne de
l’odeur du petit. Étrangement, il ne lui veut aucun mal, et c’est réciproque.
Calme, il renifle la peau fragile et la lèche, inspectant en même temps
chaque geste de la créature. Aucune peur, aucune gêne, elle n’est que
curieuse et attentive. Et innocente. C’est décidé, même s’il n’a pas la même
odeur, ce garçon est son louveteau désormais. Et ils sont tous les deux
fatigués, et son petit a besoin d’être en sécurité.
Il prend la peau et le vêtement du dos avec délicatesse mais fermeté, et
transporte son précieux paquet à l’intérieur de la maison, ouvrant la porte
entrebâillée et la refermant d’un coup de queue. Oui, ils ont bien besoin de
sommeil.
Le lendemain, Rainos s’était réveillé et avait fait un bond d’au moins
deux mètres en voyant le bambin endormi, roulé en boule et avec un
sourire jusqu’aux oreilles à ses lèvres fines et claires. Rainos lui avait caressé
le front et avait joué avec lui toute la journée. Quand il y pense, le gosse a
accepté ses deux côtés, humain et animal, sans poser de questions, et sans
même savoir que Rainos se transforme ainsi chaque nuit, il a juste accepté
avec le sourire. Le loup aussi l’a accepté, et non comme un égal ou encore
un ennemi, bien que Rainos sache que, en étant un loup, le petit n’est
sûrement pas un rival, tout d’abord parce qu’il ne lui veut aucun mal, ce
qui se fait sentir, et ensuite parce que vu sa taille et son âge il n’aurait pas
pu faire grand-chose à la bête de deux mètres de haut. Mais il n’avait pas
pensé que le loup aurait pris son protégé comme son petit alors qu’il n’y
avait pas son odeur sur la peau humaine, alors qu’il n’y avait aucune raison,
mais il l’a quand même pris. Ne pouvant pas entrer dans la tête du loup,
Rainos ne le comprend parfois pas du tout et pourtant, c’est sa moitié, mais
c’est comme si cette deuxième partie de sa personne n’était pas la sienne,
tellement quelquefois ces réactions lui sont inconnues. Le gamin tourne la
tête vers lui, les coups du vent ébouriffant sa chevelure déjà assez
broussailleuse, un sourire étincelant au visage. L’aîné se relève et s’assied au
côté du cadet pour, lui aussi, regarder dans le vague, au-delà des
montagnes. Le silence entre eux est confortable tandis qu’inconsciemment
ils se rapprochent l’un de l’autre et se collent, cuisse contre cuisse.
– Dis, j’irai où pour apprendre, je resterai ici ?
– Non, tu iras dans une école. J’ai déjà ma petite idée, mais on verra le
moment venu. Pourquoi tu me demandes ça ?
– Ben, je me demandais si on se quittera rapidement, parce que je n’en
ai pas envie… L’adulte se tourne vers le plus jeune, un pauvre sourire aux
lèvres et, silencieux, entoure d’un bras les frêles épaules et murmure, le
menton posé sur le haut de la tête blanche :
– Tu n’iras pas tout de suite, tu peux être rassuré de cela. Je te laisserai
partir seulement quand ce sera obligatoire, je tiens bien trop à toi pour ça.
Les bras fins enserrent à leur tour la taille plus épaisse que lui et colle
son visage au torse hâlé, les larmes aux yeux avant que ne s’entende la
petite voix enrouée.
– Je veux pas partir, je veux pas te perdre comme ça…
L’adulte reste silencieux, resserrant juste sa prise autour du petit corps
qui lui a offert durant ces cinq années, certes courtes, mais merveilleuses,
tellement de choses. Oui, qui aurait accepté d’avoir un loup-garou comme
parent ? Peu de personnes, ça, c’est certain. Alors que l’aîné plante ses
lèvres sur le front garni de mèches, il se demande s’il doit vraiment laisser
partir l’enfant, s’il doit vraiment lâcher son protégé dans un monde bien
trop dangereux et haineux envers ceux autres que ceux prétendus
« normaux ». Qu’est-ce que les autres enfants diraient ou penseraient s’ils
apprenaient que c’est un membre de l’espèce maudite qui a élevé le gosse ?
Il y a très peu de chances qu’ils l’acceptent, et encore moins qu’ils lui